Effet ciseaux sur le pétrole ?
Philosophie d'analyse des marchés financiers
La philosophie à adopter sur l’analyse de la situation sur les marchés financiers ne consiste pas à prédire la direction que va suivre la courbe des prix dans l’heure suivante. Il s’agirait plutôt de parvenir à une conclusion sous forme de probabilité sur les chances qu’une bonne nouvelle arrive dans les prochains mois ou le contraire. Exemple avec le pétrole.

Pression à la hausse sur les matières premières
Dans un article précédent, on avait évoqué la possibilité d’une pression à la hausse sur les matières premières dans les mois à venir tant l’ensemble du secteur se trouve dans un environnement où l’offre et la demande sont perturbés en même temps.
La politique pro écologique
L’exploration et la production du pétrole (E&P) a pâti de la politique pro écologique des dernières années. Outre les difficultés de financement par les acteurs financiers traditionnels (banques, fonds de pension), cette industrie s’est heurtée à l’hostilité de l’administration Biden pour le pétrole produit par fracturation hydraulique (le "fracking"). On se retrouve alors avec un secteur en sous-investissement chronique qui risque de rendre l’offre sous-dimensionné face à la demande.
Une baisse de l'offre
On est donc dans un contexte de secteur fragilisé, qui risque de s’écrouler en cas d’évènements perturbateurs même bénins en d’autres circonstances. La Russie et l’Arabie Saoudite décidant de réduire leur production de pétrole constituent par exemple un tel évènement du côté de l’offre.
Quant à la demande, le niveau des réserves stratégiques en pétrole des Etats-Unis est à un plus bas de 40 ans. Le stock de pétrole dans ces réserves est tout juste suffisant pour alimenter les besoins du pays pendant une vingtaine de jour.
Or, un scénario catastrophe de pénurie totale est politiquement et socialement inenvisageable car cela paralyserait tous les transports du pays et donc toutes les chaînes d’approvisionnements. Bien qu’il soit difficile de connaître le moment précis où le gouvernement américain commencera à racheter du pétrole pour les réserves, il est probable qu’il ne saurait tarder à agir.
Une augmentation de la demande
De plus, on rapporte une vague de chaleur à travers les Etats-Unis entraînant avec elle l’utilisation des climatiseurs et une hausse de la consommation énergétique : encore un élément impondérable qui fait monter la demande.
Risque de sous-investissement chronique
On voit se dessiner un effet ciseau mêlant une baisse de la production et une hausse de la consommation dans un système travaillant déjà à flux tendu, avec peu de lest qui permet de s’accommoder des perturbations imprévues.
Dans ces circonstances, deux arguments principaux s'opposent à la hausse du prix du pétrole : une hausse de la valorisation du dollar et une récession.
Voici l’évolution de la valeur du dollar contre un panier de monnaies mondiales :

Politique monétaire
Le billet vert s’échange aux plus bas niveaux de 2023. Or, le pétrole est coté en dollar : un dollar faible implique donc un pétrole cher. Si la FED veut renverser la tendance, elle sera obligée d’intervenir agressivement et monter son taux directeur, risquant de provoquer une récession. Or, il est improbable que Jerome Powell veuille risquer de ternir son mandat en provoquant une récession par sa politique monétaire. Il a régulièrement fait preuve d’un comportement prudent lors de ses précédentes interventions publiques, où il parle durement mais agit mollement.
De plus, compte tenu du niveau de la dette souveraine américaine qui monte toujours plus haut, le paiement des intérêts seuls atteint $652Md pour les 9 derniers mois. Toute hausse supplémentaire du taux d’intérêts pourrait avoir des conséquences dramatiques sur le marché obligataire et la crédibilité financière du gouvernement américain.
En bref
La situation est explosive sur le marché du pétrole tant les raisons liées à l’offre et à la demande pointent vers une hausse du prix. Il y a tout de même des arguments qui vont dans le sens contraire même s’ils ont peu de probabilité de se concrétiser (hausse du dollar, récession).