IA : l’inflexion approche ?
Dernière mise à jour : 8 août
Résumé de l'article
Les marchés et les médias ont été très enthousiastes sur l'intelligence artificielle.
Le mouvement sur le prix est souvent la justification d'une narrative et non l'inverse, dans un processus réflexif qui s'auto-entretient.
Nvidia est un concepteur de puces pour ordinateurs qui fait fabriquer ses puces par TSMC.
Les mauvais résultats et un abaissement des perspectives pour 2023 de TSMC a eu des effets négatifs sur la valorisation sur l'ensemble du secteur.
On est peut-être face à un point d'inflexion de la direction des prix des entreprises liées aux semiconducteurs.
Plan sur la comète
Les médias de tous types n'ont eu que les lettres "I" et "A" à leurs bouches depuis des mois, vociférant à qui mieux mieux à quel point nos vies allaient être changées en bien ou en mal par l'arrivé de l'intelligence artificielle. Cette narrative trouve écho dans les marchés financiers : les valorisations des entreprises qui opèrent dans ce segment atteignent en effet des niveaux stratosphériques.
Sommes nous dans une euphorie folle ou le marché a-t-il raison sur les perspectives de l'IA ?

Réflexivité
Comme exposé par George Soros dans son livre l'Alchimie de la Finance, c'est souvent le prix qui crée une narrative, indépendamment de toute réalité. C'est un processus de prophétie auto-réalisatrice qui s'articule ainsi :
Le prix qui monte va servir de base pour toutes les histoires positives sur le marché en question.
Les histoires positives attirent de nouveaux investisseurs qui ont peur de rater le train en marche (en anglais, "fear of missing out" abrégé en "FOMO").
Les nouveaux capitaux entrants alimentent encore la hausse du prix.
On revient au premier point du processus.
Le moment où l'on assiste à un changement de direction sur le prix s'appelle le point d'inflexion et il correspond également à un renversement de l'état d'esprit général du marché. Le point d'inflexion survient lorsque la narrative n'arrive plus à ignorer les faits issus de la réalité, en contradiction avec la narrative prévalente.
On a décrit dans cette partie le phénomène pour un mouvement à la hausse, mais le phénomène peut tout-à-fait se faire à la baisse : un prix en baisse crée des histoires négatives qui font fuir les investisseurs provoquant une pression baissière sur le prix, alimentant de nouvelles histoires négatives etc.
La gifle de la réalité ?
Nvidia est une entreprise de conception de processeurs, notamment pour les cartes graphiques. Pour beaucoup, elle est considérée comme étant le fournisseur privilégié d'équipements informatiques nécessaire à l'exécution des algorithmes d'IA. En 2023, son parcours boursier a été météorique lorsque les outils d'OpenAI ont été révélés en grandes pompes au public :

Goldman Sachs a récemment publié un rapport de recherche positif sur l'entreprise en citant le potentiel de croissance dans l'IA générative. La banque en a profité pour relever son objectif de prix sur l'action, passant de 440 $ à 495 $.
Certains d'entre-vous ont peut-être remarqué le mot employé pour désigner le métier de Nvidia : "concepteur". En effet, l'entreprise ne fabrique pas ses propres puces. La fabrication est sous-traitée, notamment à la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC).
Le 20 Juillet 2023, TSMC a publié ses résultats trimestriels pour le T2 2023. Bien que son bénéfice net de 5,85Md $ et sa marge d’exploitation soit au-dessus à la fois des prévisions de la direction et du consensus des analystes, le chiffre d’affaires a baissé de 23% par rapport au même trimestre en 2022, passant de 18,16Md $ à 15,68Md $. Le chiffre d'affaires réel est bien en deçà des prévisions de la direction situées entre 16,7Md $ et 17,5Md $ données durant l'appel du premier trimestre 2023.
Points marquants de la conférence sur les résultats donnée par la direction de TSMC :
La direction a reconnu l’émergence de l’IA comme étant un élément positif mais insuffisant pour contrebalancer le ralentissement économique observé dans certains marchés, notamment en Chine.
La fabrication des puces spécialisées dans l’IA prendra du retard en raison des délais dans la construction d’une nouvelle usine en Arizona (Etats-Unis).
Un approvisionnement serré des puces liés à l’IA est à attendre au moins jusqu’à la fin de 2024.
L'objectif de chiffre d'affaires pour 2023 a été abaissé de 10% par rapport à 2022 au lieu de 5% comme annoncé durant le premier trimestre.
Le titre TSMC en a pris un coup :

Le marché semble avoir réalisé l’implication des mauvais résultats de TSMC sur Nvdia et a puni cette dernière :

Et par "effet de sympathie", Advanced Semiconductor Materials Lithography (ASML), l’entreprise néerlandaise d’équipement de lithographie pour la fabrication de semi-conducteurs a vu son titre vendu à la bourse d’Amsterdam :

Un peu plut tôt dans un secteur annexe, celui de la tech américaine, Tesla et Netflix ont publié leurs résultats trimestriels. Malgré des chiffres au-dessus du consensus des analystes, les titres ont tout de même été vendus, signe que les marchés en attendaient beaucoup plus :


Cette série de mauvaises nouvelles concernant toute le même secteur peut être purement fortuite. Mais le risque réside surtout dans le fait que ces informations pourraient constituer l'amorce une narrative négative sur les secteurs de l'IA et de la tech. Si une narrative négative prend, le risque est de voir se défaire tous les gains observés depuis le début de l'année.
Conclusion
L’idée n’est pas de dériver une opinion sur la qualité d’une entreprise à partir d’un mouvement de prix à court terme. ASML et TSMC par exemple sont de véritables joyaux mondiaux et absolument uniques de l’industrie moderne. Pour employer une image ringarde, elles sont littéralement les équivalents du personnage d’Hélène dans l’Iliade pour laquelle toutes les cités grecques se sont entretuées. Le savoir-faire de ces entreprises est inimitable et leurs produits sont indispensables pour tout le monde. Je vous renvoi à l'aparté en fin d'article ("TSMC et le rêve américain") sur mon opinion à propos du cas TSMC qui m'a inspiré cette comparaison mythologique.
Mais avec cette série de mauvaises nouvelles, il se peut que l'on ait un début de fébrilité du marché qui ne peut plus ignorer la dure réalité. Encore une fois, je n’ai pas de boule de cristal et je n’ai aucune idée si nous sommes en présence du point d’inflexion.
Mon opinion est simplement que :
Le marché a été très euphorique.
Les valorisations sont très élevées.
Énormément de très bonnes nouvelles étaient indispensables pour le maintien de ces valorisations folles.
La probabilité pour cela se réalise est faible.
On commence à voir arriver les mauvaises nouvelles.
Ce qui devrait inciter à la prudence (privilégier les liquidités plutôt que les actifs).
TSMC et le rêve américain
La demande des Etats-Unis pour la construction d'une usine TSMC sur leur territoire n'est pas anodine : sous prétexte d'autoriser un accès au marché intérieur dans des conditions avantageuses (notamment fiscales) pour la société taïwanaise, c'est surtout une tentative de transfert technologique déguisée.
Il faut savoir que la construction d'une usine de fabrication de puces électroniques (que l'on appelle "fonderie") est extrêmement complexe. Des pays comme l'Inde ou la Chine y ont engouffré d'énormes quantité de capitaux, de temps et de ressources humaines sans réussir à rattraper leur retard vis-à-vis de Taïwan. Nous sommes véritablement dans un cas de secret de fabrication stratégique similaire à ce que l'on voyait au XVIème siècle à Venise qui dominait la Méditerranée grâce à son chantier naval aux méthodes de travail révolutionnaires.
La demande des Etats-Unis pour construire une usine chez-eux ne sort pourtant pas de nulle part. C'est une technique qui a été pratiquée par le Japon, la Corée du Sud et la Chine vis-à-vis des entreprises occidentales qui voulaient courir après le nouvel "El Dorado" asiatique. Seulement, ces entreprises étaient obligées de faire des partenariats avec des entreprises locales rt où elles avaient des parts minoritaires (les "joint ventures"). En outre, ces joint ventures étaient financées par les banques locales. Or, les conditions de financement sont conçues de façon à ce que l'affaire pouvait difficilement être péreines. Lorsque la faillite survenait, un fond ou une entreprise locaux participaient à la liquidation et rachetaient tous les actifs et le savoir-faire. Bien entendu, bien souvent, ces structures vautours étaient liés aux partenaires locaux de la joint venture (amis, familles, anciens camarades de classe, anciens collègues).
Lors de la dernière conférence de résultats, la direction de TSMC a déclaré que les difficultés liés au personnel aux Etats-Unis vont entraîner un retard sur le début des travaux qui ne commenceront qu'en... début 2025. Quand on connaît le contexte historique, on comprend mieux pourquoi...
Cet article n’est pas une recommandation à un quelconque investissement ; l’auteur ne détient aucune position dans les entreprises citée ni ne souhaitent en initier.

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En savoir plus sur l'auteur de l'article : Hei Hang.
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