Les actions : la valorisation en pratique
Dans l’article précédent, on a présenté les actions et le concept de capitalisation boursière. Cette dernière représente la valeur présente des profits futurs d’une entreprise attribuables aux actionnaires. Notez l’emploi de l’expression « attribuable aux actionnaires »… Car il existe une part attribuable à d’autres entités que l’on verra dans cet article. La prise en compte des actionnaires et des autres investisseurs est nécessaire pour la valorisation d’une entreprise.
LA VALEUR D’ENTREPRISE
Rappelons ici la représentation d’une entreprise :

L’entreprise utilise ses actifs afin de générer une valeur économique (chiffre d’affaires, profits). Les actifs sont financés par des capitaux apportés par les actionnaires et des capitaux avancés/prêtés par des entités tierces. Dans le premier cas, les capitaux apportés sont appelés « capitaux propres ». Dans le deuxième, ils sont appelés passifs.
On se rend compte que la valorisation de l’entreprise doit prendre en compte les capitaux propres et ceux avancés par les entités tierces, notamment les banques (les détenteurs de dettes financières).
La somme de la capitalisation boursière et du montant de la dette, net de la trésorerie de l’entreprise, constitue la valeur d’entreprise.

On retire le montant de le cash (la trésorerie) de la valeur d’entreprise car celui-ci « dort » et ne participe pas à la création de valeur économique et peut hypothétiquement être employée à rembourser la dette (et donc réduire les intérêts payés).
La valeur d’entreprise est le prix de la valeur économique que les investisseurs (actionnaires et détenteurs de dette) attribuent à l’entreprise.
EXEMPLE D'INFLUENCE DE LA VALEUR D'ENTREPRISE
Illustrons l’influence de la valeur d’entreprise avec deux entreprises Capital SA et Dette SA :

On considère que les chiffres d’affaires et les profits sont de niveau équivalent chez les deux entreprises.
Comment interpréter cette situation quand on est investisseur-action ?
Dans le cas « Capital SA », on doit payer 1000€ pour contrôler une entreprise dont la valeur économique vaut 900€. La valeur d’entreprise inférieure à la capitalisation boursière n’a rien d’aberrante. Car théoriquement, les actionnaires peuvent décider (voter) que la trésorerie dans le bilan de l’entreprise leur soit redistribuées (dividendes, rachat d’actions). Du coup, c’est comme s’ils avaient payé 1000€ pour acquérir toutes les actions, puis reçoivent les 100€ de la trésorerie redistribuée.
Dans le cas « Dette SA », on ne doit plus payer que 100€ pour acheter toutes les actions et contrôler une entreprise avec une valeur d’entreprise de 900€, soit 9 fois moins que pour « Capital SA ».
Admettons que « Capital SA » et « Dette SA » ont fait toutes deux 90€ de profits et que les actionnaires décident de les verser en dividendes.
La détention d’une action « Capital SA » donne droit à 0,90€ de dividende (90€ / 100 actions = 0,90€ par action). Comme le prix par action a été de 10€, le taux de rendement de l’action est de 9% (0,90€ / 10€ = 9%). Pour « Dette SA », le taux passe à 90% ! (0,90€ / 1€ = 90%).
Supposons le cas où l’entreprise ne paie pas de dividende et décide de garder le cash dans son bilan. La valeur d’entreprise ne change pas car il n’y a pas eu de mesure concrète de création de valeur économique (exemple : investissement dans de nouvelles capacités de production). Les 90€ de cash vont se rajouter dans la capitalisation boursière si on inverse la formule de la valeur d’entreprise :

Les actionnaires de « Capital SA » devraient voir la valeur de leurs actions à 10,90€ (+9%) tandis que ceux de « Dette SA » verront leurs actions monter jusqu’à 1,90€ (+90% !).
Dans la réalité, « Dette SA » devrait payer les intérêts sur sa dette, ce qui réduirait son niveau de profits. Par ailleurs, avec un tel niveau d’endettement, il suffirait d’une mauvaise nouvelle pour que le remboursement de la dette soit compromis et mette les actionnaires en danger. De plus, aucun investisseur en dettes n’accepterait de prêter avec un tel niveau de dette par rapport à la capitalisation boursière.
L’exemple sert surtout à montrer l’effet de levier que l’investisseur action pourrait avoir en choisissant d’acheter des actions avec une valeur d’entreprise très supérieur à la capitalisation boursière.
MULTIPLES DE VALORISATION
Les flux de trésorerie actualisés (discounted cash flows ou DCF) est le nom de la technique employée pour trouver la valeur présente des profits futurs. On ne va pas entrer dans les détails de la technique ici car elle nécessite de simuler les états financiers de l’entreprise sur plusieurs années avec formulation d’hypothèses sur la croissance, les marges etc. Retenez que l’idée fondamentale de la technique consiste toujours à trouver la valeur actuelle des profits futurs de l’entreprise.
On va surtout exposer le principe derrière les multiples de valorisation qui ont un rapport direct avec l’évolution des chiffres d’affaires et des profits dans le futur.
Les multiples les plus courantes sont :
Le ratio Price to Earnings (P/E): c’est la division de la capitalisation boursière par les profits nets attribuables aux actionnaires.
Le ratio Enterprise Value to Sales (EV/Sales): c’est la division de la valeur d’entreprise par le chiffre d’affaires. On l’utilise fréquemment pour évaluer des entreprises pas encore profitables mais avec une forte potentielle de croissance.
Le ratio Enterprise Value to EBITDA (EV/EBITDA): c’est la ratio entre la valeur d’entreprise et l’excédent brut d’exploitation. On l’utilise pour évaluer les entreprises déjà profitables sur leurs performances opérationnelles : croissance des profits, évolution des marges dans le futur et la qualité des marges (maintien dans le temps).
En général, plus un multiple est élevé, plus la valorisation est élevée et plus les attentes du marché sont fortes sur la performance future de l’entreprise. A contrario, un multiple faible indique une faible valorisation et des attentes faibles sur les performances futures.
EXEMPLE : AIR LIQUIDE S.A
Voici les données prises sur Yahoo ! Finance, onglet Statistics, en date du 11 Mars 2021 :

Market cap : elle indique une capitalisation boursière de 60Md d’euros. On est sur une large cap, ce qui veut dire en général une entreprise déjà bien en vue par la communauté des investisseurs, soit avec beaucoup de potentiel à venir, soit déjà une bonne assise et une histoire.
Enterprise Value : elle est de 74Md d’euros. Ce chiffre est supérieur à la capitalisation boursière de 14Md d’euros, on en déduit qu’Air Liquide a un montant de dette supérieur à celui de sa trésorerie de 14Md d’euros. Est-ce inquiétant ? Mon avis est que non car elle ne représente qu’environ 25% de la capitalisation boursière. De plus le business model requiert beaucoup d’installations qui peuvent être si besoin revendues pour rembourser la dette. Ce que cette valeur signifie est : « le marché estime que la valeur économique créée par Air Liquide, exprimée en euros, vaut 74Md ».
On en vient aux multiples de valorisation :
Trailing P/E et Forward P/E : c’est respectivement le ratio capitalisation boursière actuelle divisée par le profit net des douze derniers mois (trailing, trailing twelve months ou TTM) et celui divisé par le profit estimé des douze prochains mois (forward, next twelve months ou NTM). Dit autrement, c’est le nombre d’années de profits qu’il faut pour récupérer le prix d’aujourd’hui. On voit qu’ici le ratio va en diminuant : cela veut dire que le marché s’attend à une croissance des profits de 26,72 / 23,36 soit +14,3%. Comment interpréter cette donnée quand on est investisseur-action ? Si lors d’une annonce de résultats, Air Liquide annonce des profits en croissance au-delà de 14,3%, la capitalisation boursière va corriger à la hausse. Si la croissance est en deçà, le titre va corriger à la baisse. C’est pour cela qu’un titre baisse même lors d’une annonce très positive car le marché avait « pricé » des résultats encore meilleurs.
Enterprise value/Sales : cette information permet de déduire qu’Air Liquide avait fait 74Md / 3,64 = 20,3Md d’euros de chiffre d’affaires durant les douze derniers mois. En général, plus un ratio est supérieur à 1, plus l’entreprise a une bonne croissance et des marges élevées. Avec un ratio de 3,64, le marché estime qu’Air Liquide a une croissance correcte de son chiffre d’affaires et des marges de profits confortables.

Enterprise value/EBITDA : ce ratio permet de déduire qu’Air Liquide avait généré un EBITDA de 5,73Md d’euros. En général, plus le ratio est élevé, plus le marché estime que l’entreprise génère de bonnes marges pérennes sur la durée. Le ratio ici sort à 12,92x pour Air Liquide, ce qui est un signe d’optimisme. Le ratio EBITDA/Chiffre d’affaires sort à 28%, ce qui est une très bonne marge dans l’absolu. En général, ce ratio est à comparer avec ceux des entreprises opérant dans la même industrie.
Opinion : Air Liquide, avec un EV/Sales et un EV/EBITDA un peu élevés mais pas extravagants, est valorisé de manière premium : une entreprise avec des marges confortables mais une croissance modérée et durable dans le temps. Cette valeur est une cible d’investigation pour ceux qui cherchent une action de fond de portefeuille.
CONCLUSION
Une entreprise est financée par les capitaux apportés par les actionnaires (fonds propres) et les banques (la dette financière). La valeur économique de l’entreprise évaluée par le marché s’appelle la valeur d’entreprise (EV). La part des actionnaires s’appelle la capitalisation boursière.
Une valeur d’entreprise élevée par rapport à la capitalisation boursière dénote une dette financière importante, ce qui veut aussi dire qu’un euro de capitaux propres permet de contrôler PLUS qu’un euro de valeur économique.
Les multiples permettent d’avoir une idée rapide du niveau de valorisation de l’entreprise (chère ou bon marché ?) et du sentiment du marché par rapport à sa performance future.
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En savoir plus sur l'auteur de l'article : Hei-Hang Lui.
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