Regard sur la maison Hermès
Résumé de l'article
Hermès est une maison de luxe française dont l'histoire remonte au XIXème siècle et qui propose un offre diversifié de produits de luxe partout dans le monde.
Ses excellents résultats financiers et sa performance opérationelle en font un des fleurons de l'industrie française.
Ses métriques financiers sont actuellement plus élevés que leurs moyennes historiques : c'est une indication que les marchés ont de grandes attentes par rapport aux performances futures d'Hermès.
Une stratégie pour un investisseur convaincu de l'excellence intrinsèque de l'entreprise devra se fixer des objectifs de prix d'achat qui correspondront à des scénarios de performance.
Salut l’artiste
L’actrice et chanteuse franco-britannique Jane Birkin est décédée le dimanche 16 Juillet 2023. Elle s’est faite connaître vers la fin des années 60 avec sa collaboration avec Serge Gainsbourg dans le film Slogan qui s’est poursuivie en une relation amoureuse et artistique durant la décennie suivante. Birkin a aussi inspiré le sac à main iconique et éponyme de la maison Hermès, dont le prix de vente atteint en moyenne 17 000 euros. C’est l’occasion de jeter un regard sur la société Hermès et l’industrie du luxe en général.

Jane Birkin, au début des années 60.

Le Birkin, sac iconique d'Hermès inspiré par l'actrice
Hermès en quelques mots
Hermès International Société en commandite par actions opère dans la production, la vente en gros et au détail de produits de maroquineries. Son histoire débute en 1837 avec Thierry Hermès qui a établi le premier atelier de l’entreprise à Paris, sur les Grands Boulevards, spécialisé dans les selles pour chevaux à destination d’une population huppée et haut de gamme. Cela explique la présence du monde hippique dans la communication et les gammes de produits de l’entreprise. La société a depuis diversifié son offre de produits : outre les équipements d’équitation, elle propose aussi à la vente des articles de voyages, des articles pour la maison, des accessoires en cuir, de l’horlogerie, de la joaillerie, du parfum, des vêtements et autres produits-textiles.

Hermès en quelques chiffres
Les marchés ont vendu le titre lors de la première séance après le décès de l’actrice, comme pour marquer le deuil :

Malgré cette baisse du prix de l’action, l’entreprise a une capitalisation boursière de près de 200Md€. Elle possède un bilan solide puisqu’au 31 Décembre 2022, la trésorerie montait à 9,23Md€ pour seulement 37Md€ de dettes.
Voici les chiffres financiers clés d’Hermès sur les 5 dernières années :



La progression a été irrégulière, mais elle peut s'expliquer par l'impact de l'épisode du Covid en 2020. En revanche, Hermès a bénéficié d’un bel effet de rattrapage en 2021 lors du relâchement des mesures sanitaires. Les marges ont toujours été plus que confortables même durant la pandémie et se sont même améliorées en 2021 et 2022, ce qui indique une bonne qualité de gestion et un certain pouvoir de fixation des prix de vente. Les flux de trésorerie nets ont été positifs pendant la période 2018 à 2022, et ce malgré le paiement de dividendes et leur programme de rachat d’actions. Au passage, ces actions indiquent une volonté de la direction de plaire aux actionnaires et de leur fournir un retour sur investissement convenable.
Une autre force de l’entreprise réside dans l’efficience de ses investissements. Durant la période étudiée, Hermès investit en moyenne 3% de son chiffre d’affaires annuel pour générer une croissance moyenne de 18% de ses ventes l’année suivante. La croissance annuelle moyenne du bénéfice net dépasse même celle du chiffre d’affaires et monte à 24% : Hermès bénéficie d’un bel effet de levier opérationnel.
Les clés du succès d'Hermès
Le but ici n’est pas d’analyser de fond en comble la stratégie commerciale et marketing d’Hermès. Voici mon avis sur les clés du succès d’Hermès :
Contrôle et maîtrise à tous les niveaux de la chaîne de valeur : du sourçage des matériaux à la distribution en passant par la production.
Savoir-faire dans l’utilisation, la création et l’entretien de son riche actif intangible : l’aura de la marque s’appuie habilement sur son histoire et une interprétation de la France qui transcende les cultures et compréhensibles par tout le monde.
Entreprise familiale : La famille Hermès détient plus de 66% des parts de l’entreprise, ce qui peut laisser espérer une indépendance dans la direction, une gestion saine concentrée sur le long-terme et un alignement des intérêts avec les actionnaires.

A l’achat sur le titre ?
Qui ne connaît pas la marque Hermès ? Pratiquement personne. Cela s’applique aussi à la valeur mobilière, d'autant plus que l’entreprise fait un travail remarquable de communication financière et de discipline de gestion. Ceci attire notamment les investisseurs institutionnels et leurs hordes d’analystes, prêts à décortiquer les moindres faits et gestes de la société. La valorisation du titre est à l’image de ses produits, à savoir parfaite ("priced to perfection") et très élevée comme nous le verrons par la suite.
Avant de continuer, il y a deux concepts à comprendre qui est la capitalisation boursière (CB) et la valeur d’entreprise (VE). Je vous renvoie à la fin de l’article ("Concepts financiers") si ces termes ne vous sont pas encore familiers. Le décryptage de la valorisation d'Hermès va s'articuler en 3 parties.
Partie 1 : "de toute façon, ce qui compte, c'est les valeurs"
La première partie consistera à extraire différents données et ratios que l’on va s’en servir par la suite.
La CB d’Hermès s’élève à près de 200Md€ à la clôture de la séance du 17 Juillet. Avec environs 9Md€ de trésorerie nette de dettes. La VE est donc de 191Md€ (200Md€ moins 9Md€).
Comparons la VE à son chiffre d’affaires (CA) de 2022 : elle vaut aujourd’hui 16,47 fois son chiffre d’affaires de 2022 (VE/CA = 16,47x). Un autre ratio classique est celui de la capitalisation boursière sur bénéfice net (ratio "price-to-earnings" ou P/E). Le P/E d’Hermès monte à 58,8 (P/E = 58,8x).
L’obtention de ces ratios courants va servir pour faire la comparaison avec les données historiques : selon qu'ils soient supérieurs ou inférieurs aux ratios historiques, on peut commencer à juger si une action est chère ou pas.
Voici les ratios financiers historiques d’Hermès de 2018 à 2022 :

Les ratios P/E et VE/CA peuvent se calculer à la fois avec les résultats de l’année passée ("trailing twelve months" ou TTM) comme ceux de l’année à venir ("next twelve months" ou NTM) car la valorisation renferme aussi une information concernant les attentes du marché par rapport à l’avenir. L’analyse des deux nombres peut nous renseigner sur le consensus du marché.
Voici la moyenne des ratios P/E et VE/CA :

Ces moyennes historiques peuvent être vues comme étant la tendance long-terme des ratios financiers d’Hermès. Autrement dit, on peut espérer que sur le long-terme, les ratios vont tendre vers ces moyennes.
On s’aperçoit que le ratio P/E TTM a été historiquement de 51,66 tandis que le ratio moyen VE/CA TTM est de 12,37. A la valorisation en date du 17/07/2023, les ratios courants P/E TTM et VE/CA TTM sont respectivement de 59,37 et 16,60. Une conclusion partielle qui se dégage est la suivante : les ratios courants indiquent une valorisation plus élevée que par le passé. La cherté d'une action traduit l'optimisme du marché quant aux perspectives de l'entreprise.
Partie 2 : histoire de chiffres
La deuxième partie de cet exercice consiste donc à déterminer jusqu'à quel niveau l'optimisme du marché envers Hermès s'étend.

Historiquement, on observe une différence entre les ratios TTM et NTM. On passe du P/E TTM au P/E NTM avec une décote de 18,4% ; cette dernière passe à 17,2% pour les ratios VE/CA TTM et NTM. Si on applique ces variations sur les ratios P/E et VE/CA courants, on obtient respectivement des ratios de 48,43 et 13,75.
On peut déduire alors les attentes du marché sur le chiffre d’affaires et bénéfices nets d’Hermès en faisant une simple division :

D’après ces quelques calculs, on peut raisonnablement penser que le marché s’attend à un chiffre d’affaires de 13,891Md€ pour un bénéfice net de 4,13Md€ pour l’année 2023, soit respectivement une croissance de 19,7% et 22,7% par rapport à 2022.
Partie 3 : verdict
Nous en venons à la dernière partie de l’exercice qui consiste à jauger si ces attentes sont réalistes. La valeur de l’investisseur se fait par rapport à son jugement entre les attentes du marchés et son interprétation de l’environnement économique actuel.
Nous avons évoqué l’érosion du pouvoir d’achat de biens discrétionnaires des consommateurs aux Etats-Unis, un risque d'augmentation de l’inflation qui peut éroder encore davantage le pouvoir d’achat des consommateurs, provoquer un durcissement de la politique monétaire des banques centrales et/ou une récession. Les consommateurs chinois qui portaient jusque-là la flamboyante croissance du secteur du luxe ne semblent plus avoir la tête à la fête tant les mauvaises nouvelles économiques s’accumulent chez-eux (chômage massif chez les jeunes, activités industrielle en berne, exportations en baisse, processus de désendettement en cours). De plus, un concurrent vient de publier des résultats qui indiquent un ralentissement possible et qui risquent d’être représentatifs du secteur en entier.

Queue de touristes asiatiques devant les boutiques Hermès : une image appartenant au passé ?
On en revient toujours à la philosophie exposée dans mes articles : y aura-t-il plus de chances qu’une bonne nouvelle survienne dans les mois à venir ou le contraire ? La valorisation aussi élevée me laisse à penser que le marché estime qu’il ne va y avoir que de bonnes surprises. Je pense que cela est hautement improbable, surtout vu la croissance attendue et que Hermès devra dépasser.
La société va publier ses résultats du premier semestre 2023 le 28 Juillet 2023 à 8 heures du matin (Paris). J’estime que l’entreprise devra au moins dépasser les estimations de revenus et de bénéfices au prorata de l’année écoulée, c’est-à-dire environs 7 md € de CA et 4,05 md € de bénéfice net pour les 6 premiers mois de 2023. Et ceci ne serait-ce que pour espérer préserver sa valorisation stratosphérique.
Mais plus encore que les résultats passés, ce seront les prévisions pour le reste de l’année fournies par la direction qui sont importantes tant la valorisation implique beaucoup d’attentes vis-à-vis des profits futurs de l’entreprise : toute déception risquerait d’être lourdement sanctionnée.
Si on regarde sur le plus long terme, Hermès est une belle maison de luxe avec une histoire, une aura et un savoir-faire (technique et promotionnel) que peu d’entreprises dans le monde peuvent se targuer de posséder. J’estime que cette excellence a de grandes chances de perdurer quel que soit la conjecture économique. Il y a cependant un point à élucider qui est celui du retour de la folie acheteuse des touristes chinois qui pourrait n’être qu’une anomalie de l’Histoire. Je comparerais cette situation avec la société Oracle qui fournit les équipements liés à l’infrastructure de l’internet. Lors de la folie liée au "boom des dot.com", la valorisation d’Oracle a littéralement explosé à la hausse avant de retomber aussi spectaculairement lors de la crise de 2000. L’entreprise a mis plus de 17 ans avant de retrouver durablement la valorisation atteinte lors du boom. Pourtant pendant ce temps, l’entreprise était pourtant toujours restée excellente et indispensable, mais la valorisation n’a pas suivi.

Un Hermès, oui, mais à quel prix ?
Il est de tradition de fournir un objectif de prix (en anglais "price target" abrégée en "PT") avec l’analyse d’une entreprise : voici ma tentative dans cette partie.
Comme écrit un peu plus haut, je pense qu’Hermès est une entreprise de qualité, indépendamment des circonstances macro-économiques. Par conséquent, si jamais une décote sur le prix de l’action se concrétise indépendamment des actions de la part de la direction d’Hermès, commencer ou renforcer une position longue (achat) devient très intéressant.
A quels prix passerait-on à l’action alors ?
Je raisonne à partir de la valorisation actuelle qui implique des attentes très fortes sur la croissance du chiffre d’affaires et des bénéfices à venir. Que serait le prix de l’action Hermès si l’entreprise ne réalisait que la moitié de croissance attendue par le marché ? Et à 25% ? Etc. Chaque investisseur définit son niveau "d’agressivité" en fonction de son style : les plus impatients ("agressifs") de détenir le titre seront heureux d’acheter dans le premier cas, tandis que ceux qui sont plus conservateurs se montreront plus patients et attendront que le deuxième cas se réalise.
Voici un tableau récapitulant les différents objectifs de prix selon les scénarios de croissance :

Par exemple, considérons un investisseur moyennement conservateur et qu’il aurait un objectif d’achat à 1 605 € (3ème colonne en partant de la droite). Si Hermès annonce une croissance nulle et que le prix du marché atteint ou passe en dessous de 1605 €, il passerait alors à l’achat.
La méthode exposée n’est qu’un exemple d’analyse. On aurait pu faire un modèle financier d’Hermès sur les 5 prochaines années : c’est la méthode des flux de trésorerie actualisés (en anglais "discounted cash flows" ou "DCF"). La critique de cette méthode est sa sensibilité par rapport aux données d’entrée, ce qui rend cette méthode pertinente surtout aux structures professionnelles qui ont accès à une grande quantité de données financières fiables et précises.

Cet article n’est pas une recommandation à une quelconque transaction sur le titre Hermès ; l’auteur de l’article ne détient aucune position sur Hermès et ne prévoit pas d’en initier.
Concepts financiers
La capitalisation boursière (CB)
Il s’agit de la valeur que le marché attribue à l’ensemble des titres de propriété (c’est-à-dire les actions) d’une entreprise. Cette valeur dépend en principe des bénéfices futurs attribuables aux détenteurs de ces titres (les actionnaires).
La CB se calcule comme étant le produit du prix par action et du nombre de parts émises par l’entreprise.
La valeur d’entreprise (VE)
La valeur d’entreprise vise à comptabiliser l’ensemble des capitaux qui permettent le fonctionnement de l’entreprise. Les capitaux peuvent venir des actionnaires (que l’on appelle alors capitaux propres) et des pourvoyeurs de dettes. Ces derniers sont généralement les banques qui prêtent des fonds contre des garanties afin d’être certaines de se faire rembourser. Lors d’une faillite, les détenteurs de dettes sont servis avant les actionnaires sur les produits de la liquidation des actifs de l’entreprise.
La formule de VE est la suivante :
Capitalisation boursière - Trésorerie + Dette = Capitalisation - Trésorerie nette.
La trésorerie est déduite de la VE car il s’agit de capitaux qui "dorment" sur les comptes et ne sont pas utile aux opérations de l’entreprise.

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